Arbitraire
Avec: Myriam Ziehli, Shirin Yousefi, Gina Proenza, Nathalie Perrin, Robin Michel, Tristan Lavoyer, Jean-Christophe Huguenin, Gilles Furtwängler, Luc Andrié
16 11 - 23 12 2017
Vernissage le 16 novembre 2017 à 18h à 21h
Finissage le 21 décembre 2017 à 18h à 21h
Exposition du 16 novembre au 23 décembre
Horaires: Me-Ve 15h-18h Sa-Di 15h-19h
Proposition d’Olivia Fahmy et Stéphanie Lugon à la galerie Davel 14
"Arbitraire" interroge ce qu’exposer collectivement signifie. Le vernissage dévoile une œuvre seule comme point de départ à l’élaboration d’une proposition collective. Enrichie chaque semaine d’une nouvelle intervention, l’exposition se construit ainsi au fil du temps et se présente comme un dialogue en cours jusqu’à son finissage.
LE POINT DE DÉPART:
Les expositions collectives essaiment dans les galeries, les musées, les espaces d’art indépendants et les foires. Elles donnent un aperçu, ont la volonté de mettre en lien des pratiques et de proposer des thématiques afin d’inviter les visiteurs à regarder des œuvres par l’incursion d’un sujet commun. Mais elles ont certaines limites : difficulté de lisibilité des travaux due à un concept trop exclusif ou inclusif, fatigue du spectateur – de passer d’un artiste à l’autre, obligeant un réengagement perpétuel du regard sur les œuvres et de la compréhension d’une démarche artistique individuelle – problèmes d’espaces à partager pour les artistes, d’autorité quant au curateur et de transparence de l’ensemble des participants. Ainsi, les expositions collectives interrogent indirectement les rôles respectifs des artistes, des curateurs et des visiteurs des expositions. Elles sont un symptôme des structures ayant changé dans le monde de l’art depuis une cinquantaine d’années.
LE PROJET
Que signifie exposer collectivement ? Comment les thématiques émergent-elles et comment les espaces d’art sont-ils investis ? A Davel14, nous avons pris le parti d’inviter arbitrairement des artistes dont les pratiques semblent a priori éloignées afin qu’ils développent des propositions entrant en résonance les unes avec les autres.
Amorcée par Shirin Yousefi, cette exposition s’ouvre sur une installation récente de l’artiste, installée au seuil de la galerie, laissant ainsi la place pour une série d’interventions ultérieures. Régulièrement, un nouvel artiste intervient librement dans l’espace Davel14 en ajoutant une ou plusieurs de ses œuvres à l’accrochage. L’exposition se construit ainsi au fil du temps, les œuvres se répondent et leurs différentes relations permettent de nourrir ce questionnement sur l’exposition collective.
16 novembre 2017 : Shirin Yousefi "Achievement"
"Achievement" est une œuvre visuelle et olfactive de Shirin Yousefi. La vidéo projetée dans la vitrine est visible depuis l’extérieur et propose aux passants un karaoké muet. Constitué de phrases tirées d’hymnes révolutionnaires et anarchistes, le chant se déploie sur fond de masque d’Apollon, renvoyant ainsi aux rites carnavalesques dont la fonction est de renverser l’ordre du monde et de provoquer la confusion sociale. L’odeur, quant à elle, est inspirée du milieu de la finance et restitue le symbole de la réussite telle que prônée par notre société actuelle.
L’installation, placée à la frontière entre un espace public – Lavaux – et un espace privé – une galerie, mais surtout un atelier d’artisan, soulève la question du « faire collectif » : dans un contexte où le capital et l’individu priment, quelle résonance peuvent avoir ces mots qui invitent au rassemblement et à la défense de l’intérêt commun ?
Shirin Yousefi articule dans sa pratique le son et l’odeur pour traduire des éléments ayant trait à l’impalpable et jouer avec la mobilité et la fluidité de nos sens. Elle présentait cette année, dans le cadre de l’exposition Speak, Lokal (Kunsthalle, Zurich), une diffusion d’odeurs restituant sensiblement les frontières géopolitiques du Moyen-Orient, associée à des hululements qui évoquaient les liens entre ces espaces. Volatiles et sur le fil, les travaux de l’artiste convoquent les sens et la mémoire, et font émerger des images (au sens de représentations mentales) libres et personnelles pour chacun des visiteurs.
Après une formation académique en dramaturgie, théâtre et cinéma à l’Université de Téhéran, Shirin Yousefi (*1986) étudie les arts visuels à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL). Elle vit et travaille à Pully. Elle est lauréate du prix KADIST 2017 (Kunsthalle Zurich Production Awards), du prix SOMA (ECAL) pour la résidence à Mexico City. Elle a été sélectionnée pour l’exposition de Plattform18 qui se tiendra en janvier à la Kunsthalle Langenthal et invitée à présenter son travail pour l’exposition From Ear to Ear to Eye à l’espace Nottingham Contemporary.
22 novembre 2017 : Luc Andrié "Tract (01)"
Luc Andrié propose une vidéo intitulée Tract (01) dans laquelle se succèdent plans, extraits de films, citations et images fixes, le tout accompagné d’un clapotis d’eau en guise de bande sonore. A travers sa pratique d’observateur, Andrié convoque différents types de signes qu’il réunit pour dire la pluralité de nos rapports à la culture, à l’art, au temps et à la nature.
« Foule esclave, debout ! debout ! le monde va changer de base », l’un des vers du chant révolutionnaire projeté sur la vitrine de Davel14, est le point de départ de ce travail en forme de cadavre exquis. L’utopie communiste du début du XXe siècle aspirait à une société dans laquelle l’homme était libéré de toute aliénation. Un siècle plus tard, qu’en est-il de notre liberté ? Andrié cite L’Infinie comédie de David Foster Wallace, écrivain américain dont le portrait apparaît à plusieurs reprises dans la vidéo. Le roman, paru en 1996, présente un futur proche dominé par le consumérisme, le divertissement et la futilité : en d’autres termes, une société du spectacle triomphante. La capture d’écran d’un site informant de la vente d’une toile de Britney Spears à 10'000 dollars et des extraits de films hollywoodiens actualisent la fiction. La moue rabougrie taillée sur un bout de mousse dans la rue rappelle un masque, notion que Foster Wallace associe à la pratique artistique. En contrepoint à l’artifice, Andrié donne à voir des plans d’environnement naturel – un chien dans un pré, des orages violents en Afrique, des champignons dans la forêt – et interroge ainsi notre lien à la nature et à son langage.
Le montage des images, que l’on pourrait dans une certaine mesure rapprocher d’une pratique surréaliste – mouvement dont les représentants entretenaient des rapports étroits et conflictuels avec le Parti communiste –, multiplie les pistes de réflexion. Tract (01) reflète l’impossibilité de saisir la complexité de notre présence au monde.
Luc Andrié (*1954) est peintre et vidéaste. Il expose régulièrement en Suisse ainsi qu’à l’étranger. Professeur d’art à l’ECAL depuis les années 1990, il vit et travaille en Suisse.
24 novembre 2017 : Gilles Furtwängler "Yeeeeeeeaaaaaaaah Big bisou"
Collectionneur du langage courant, Gilles Furtwängler « vole » les phrases du quotidien pour les ordonner ensuite en poèmes visuels. A Davel14, ses mots rejouent à la fois les slogans idéalistes des années 1960 et les expressions utilisées dans nos moyens de communication contemporains les plus immédiats. Leur ton oscille entre différentes inflexions et leur interprétation relève de la subjectivité de chaque visiteur.
Les lettres majuscules tendent à produire le son mental d’une voix forte, voire hurlante, d’euphorie ou de colère. L’abondance des voyelles du Yeeeeeeeaaaaaaaah traduit une expression enjouée ou au contraire excédée. Les multiples Bisou insufflent une forme de candeur et d’innocence au texte, ou à l’inverse un air complètement niais ou ironique. Ils renvoient également à l’expression connotant péjorativement l’idée d’un monde utopique : « le monde des bisounours ». En plaçant au même niveau la révolution et la décoration intérieure, Furtwängler propose une mise à distance de l’engagement, qu’il soit artistique ou politique. Peint à la cendre, le poème affleure de désillusion et de désenchantement ; résistent cependant les phœnix que sont les mots et l’humour.
Gilles Furtwängler (*1982) est diplômé de l’ECAL. Il vit et travaille à Johannesburg et Lausanne. Il a participé à de nombreuses expositions et lectures en Suisse et à l’étranger (Festival de la Bâtie Genève, Galerie Skopia Genève, Salts Bâle) et est lauréat, entre autres, de la Bourse des Arts Plastiques du Canton de Vaud en 2016, du Prix de la Fondation Irène Reymond et des Swiss Art Awards en 2015.
Mardi 5 décembre 2017 : Gina Proenza, L’ami naturel
L’ami naturel est une installation de Gina Proenza qui active un espace architectural insolite et souvent occulté de la galerie : deux masques en plâtre aux airs de gargouilles occupent le registre supérieur de la vitrine de Davel14. Le premier, une tête de cochon coiffé d’une couronne qui rappelle les atours pharaoniques, fait face au second, un visage humain aux traits abstraits, évoquant un élément sculpté proto-chrétien ou une bouche d’eau dans un bain romain.
Les deux figures sont placées l’une face à l’autre mais ne peuvent se voir, la colonne d’ordre toscan assumant le rôle de séparateur des mondes : une division entre animal et humain, naturel et culturel ou encore profane et sacré. Les oppositions flagrantes nous poussent à une réflexion sur les terrains de rencontre entre des mondes a priori éloignés. Chacun dans leur territoire, les masques se tirent malicieusement la langue. Leurs grimaces suggèrent des moqueries d’enfants et s’adressent autant à leur pendant qu’aux visiteurs ou aux autres œuvres de l’exposition.
Gina Proenza (*1994) est diplômée de l’ECAL et fondatrice de l’espace indépendant Pazioli. Elle a récemment été sélectionnée pour participer à l’exposition Plattform 18 qui se tiendra en janvier à la Kusnthalle Langenthal. Elle vit et travaille entre Lausanne et Paris.
Mardi 5 décembre 2017 : Tristan Lavoyer, Vroum
L’œuvre de Tristan Lavoyer présente tout d’abord un morceau de tissu vieux rose, orné de motifs floraux bleus. Ce voile cache et, une fois soulevé (et ainsi activé par le spectateur), révèle à qui en a l’audace une peinture teintée d’orangé contenant en lettres claires l’onomatopée « Vroum ». Sous les fleurs, le moteur gronde, plongé dans un mince nuage de brume rose. L’érotisme du jupon fleuri et la tentation de la découverte laissent place au bruit et à l’artificiel. Le jeu de dissimulation et de dévoilement évoque également l’icône religieuse : l’image votive est ici remplacée par des mots suggérant la vitesse et le progrès industriel, ou encore des jeux d’enfants.
Tristan Lavoyer (*1986) est diplômé de l’ECAL en arts visuels et de l’Université de Lausanne en histoire et esthétique du cinéma. Il expose actuellement à l’espace d’art Forde à Genève dans l’exposition Accept Baby. Il vit et travaille à Lausanne.
Mercredi 6 décembre 2017 : Jean-Christophe Huguenin, Bizarre Love Triangle
Les quatre triangles de Jean-Christophe Huguenin qui ornent la barrière de l’étage de la galerie évoquent une banderole de fanions de taille démesurée. Généralement en tissu ou en plastique, les fanions sont associés à un esprit festif : ici, l’accrochage de guinguois et les couleurs vives donnent une impression de dynamisme et de légèreté aux monochromes peints sur panneau aggloméré. Par cette énergie et ce mouvement, l’esprit carnavalesque reprend vigueur et renvoie à la survivance du mot goguette, décrivant autrefois de petites sociétés réunies autour de la fête et du chant, et aujourd’hui utilisé pour décrire un état d’ivresse joyeuse, un esprit émoustillé.
L’accrochage apparemment désinvolte suggère également une rébellion facétieuse aux codes du minimalisme et de l’abstraction, démarches associées à la rigueur et à la rectitude, auxquelles renvoie le monochrome géométrique.
Jean-Christophe Huguenin (*1981) est diplômé de l’ECAL et de la HEAD en arts visuels. Il participe à de nombreuses expositions en Suisse et à l’étranger. Fondateur de l’espace d’art indépendant Curtat Tunnel à Lausanne, il présentait cette année l’exposition personnelle Very very circus à l’espace Tunnel Tunnel qui lui a succédé.
Jeudi 7 décembre 2017 : Nathalie Perrin, La petite jungle
Dans ses dessins, Nathalie Perrin associe une multitude de références culturelles et visuelles à un maelström de mots et de liens qui accompagnent les yeux du regardeur dans l’esprit d’un joyeux cadavre exquis guidé. Pour ce dessin, l’artiste s’est inspirée des discussions tenues à plusieurs occasions entre les participants à l’exposition, les associant librement à des références personnelles. Détournement d’un mind-map, son dessin devient la carte géographique d’un territoire mouvant, où la rencontre et la collusion sont au cœur du procédé d’élaboration de l’exposition, et des liens qui se tissent entre les artistes et les œuvres.
Nathalie Perrin (*1989) et diplômée du master de l’ECAL en arts visuels. Elle présentait cette année ses travaux à la Kunsthalle de Bâle à l’occasion de l’exposition Ungestalt, terme allemand difficilement traduisible qui renvoie à un refus de formes trop clairement définies et linéaires. Elle prépare actuellement une publication autour de son travail.
Jeudi 7 décembre 2017 : Robin Michel, Club infection
Le tampon encreur de Robin Michel peut se lire comme un logo, un flyer ou une affiche qui décrit le lieu et contexte pour et dans lequel il a été créé. Il pourrait être envisagé comme le logo de la collaboration « forcée » imposée aux participants de cette exposition collective. L’artiste détaille :
« Un club c’est apparemment une association qui regroupe des membres ayant des activités et des intérêts communs…
infection, c’est l’invasion d’un organisme par des micro-organismes pathogènes, comme des bactéries, des virus, des parasites. Lire également le texte de David Foster Wallace sélectionné par Luc pour sa vidéo.
Ça pourrait être aussi le nom et le visuel d’un groupe, d’un film, d’un livre ou d’une manifestation.
C’est surtout des mots et des images brouillés, sélectionnés et modifiés en provenance de mes archives. »
Robin Michel (*1973) est artiste plasticien et DJ. Autodidacte, ses œuvres sont proches des formes souvent associées au minimalisme. Engagé dans de nombreux projets sonores, sa pratique englobe aussi bien la programmation musicale (comme en novembre dernier pour la soirée « Culture of consensus » au club Folklore à Lausanne) que le détournement d’objets issus de la production industrielle.
17 décembre 2017 : Myriam Ziehli, Would you be my lover ?
La dernière intervention de l’exposition se déploie dans la galerie en une frise de 13 images encerclant toutes les œuvres. A partir d’une série de photographies réalisée en tournant autour d’une sculpture, Myriam Ziehli a expérimenté l’impression numérique sur différents types et couleurs de papier. Le résultat oscille entre des effets kitsch – notamment dus à l’emploi de spray argenté – et des rendus proches de la lithographie.
Le sculpteur du Dénicheur d’ourson a figé dans le bronze une bataille entre un chasseur et un ours. La photographe remet en mouvement les figures en les abordant selon des points de vue successifs, variation malicieuse du procédé chronophotographique dont l’invention est contemporaine à la sculpture. Cette lutte entre l’homme et l’ours, sans aucun doute finale pour l’un d’entre eux, propose une métaphore musclée des rapports de force qui se mettent en place lors de l’élaboration d’expositions collectives : les questions de territoire, d’équité, de pouvoir et de domination participent de la difficulté de l’exercice. Le titre de l’œuvre, Would you be my lover ? transforme toutefois le combat en étreinte, les deux figures s’enlaçant dans une danse improbable et cocasse.
Myriam Ziehli (*1989) est diplômée du CEPV. Elle vit et travaille à Lausanne. Sa pratique articule notamment des questionnements liés à l’écologie et aux rapports entre nature et culture. Elle expose régulièrement à la Galerie C à Neuchâtel et exerce une activité curatoriale au sein de l’espace d’art indépendant Urgent Paradise à Lausanne.